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  • Godelle

Une autre, plus grave, encore une fois en flash-back, et qui figurerait mieux dans les rubriques “les ripoux” si le verlan avait été inventé en 1945. A cette époque, c’était plutôt le “javanais”… autrement dit : “poujavaris”, peut-être je n’en suis pas sûr.
J’avais vingt-deux ans, un an d’ancienneté dans l’administration. Comme je l’explique au début de ces “mémoires”, j’étais naïf et cette naïveté a bien failli mettre un
terme à ma carrière débutante.

Ici, il faut faire un bref rappel des conditions d’existence de ces années d’aprèsguerre. Plus de bombardements, certes, c’était déjà beaucoup. Mais la France à reconstruire, le ravitaillement toujours déficient, la rareté et même l’absence de toutes les denrées de consommation courante et pas seulement dans l’alimentation, les vêtements, les matières premières, sauf si on les achète au marché parallèle. J’ai d’ailleurs déjà consacré un paragraphe à la pénurie de papier. Bref, le sous-développement en langage actuel.

Dans ce contexte, je fréquentais un collègue de mon âge qui semblait manquer de rien. Toujours bien vêtu. Je me souviens encore aujourd’hui de ses chaussures, détail pitoyable qui dénote bien l’état d’esprit de ma génération de restriction. en plus charmant garçon rondouillard bien nourri, plutôt père tranquille, loin du flic de rue mais tout à fait flic fonctionnaire… un brave homme, quoi !

Plusieurs fois je lui avais posé la question : « Comment fais-tu, avec une solde de gardien de la paix pour te ravitailler au marché noir ? – C’est simple, me répondit-il, j’ai un oncle viticulteur qui me charge de la représentation pour la vente de ses vins dans la région parisienne, et maintenant avec la reprise de la production, les gens… aisés… achètent. il y a des affaires à réaliser… »

Il m’avait même proposé de prospecter avec lui et j’avais accepté. Nous devions bientôt travailler ensemble…

Un jour que j’étais désigné pour un service au Parc des Princes, j’appris son arrestation au Vésinet.

En arrivant au stade, je fus accueilli par mes collègues. « Ah ! Duriez, qu’as-tu fait de Godelle ? tu n’étais pas avec lui ? » et ils me tendent un exemplaire du “Parisien Libéré”. en première page, un titre : “Les faux policiers du Vésinet”. Une
photo représentant quatre ou cinq hommes menottés et parmi eux, mon ami Godelle. Je tombais de l’armoire, je n’y croyais pas ! Pour un peu, ce type m’entraînait avec lui et je figurais sur le cliché ! Quel était donc son revenu viticole ? Bien sûr, il n’existait pas, pas plus que l’oncle producteur. Godelle, avec ses complices, policiers ou non, rackettaient de riches Vésigondins choisis parmi des profiteurs ayant plus ou moins trafiqué avec les occupants et, pour cette raison, peu empressés à déposer une plainte… jusqu’au jour où ils avaient mal choisi leur victime qui avait appelé la police du Vésinet.

Et moi, qui pensais prospecter avec eux ! Qu’aurais-je pu dire si je n’avais pas été en service au Parc ce jour-là ?

Par la suite, j’appris par ma hiérarchie que Godelle était suspect et que je n’aurais jamais dû le fréquenter. « Merci, chef ! » Mais j’aurais préféré qu’il me le dise avant.

Il fut condamné à deux ans d’emprisonnement fermes et révoqué.

Quelques temps après sa libération, je l’ai revu sur la place sembat à Boulogne, où j’étais en service. il a tourné deux ou trois fois autour de la place sans se décider à m’approcher. il a peut-être eu raison.

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